Film moyen-mauvais de la paire Toledano-Nakache sur la rencontre de deux hommes que tout oppose, Philippe (Cluzet) et Driss (Sy) : taille et corps, origine sociale et ethnique, couleur de peau et intérêts en tout genre. Premier malaise : ce grand jeu de la différence naturelle aussi bien que culturelle est tant subordonné à la vente de la plus grande différence, qu'on rechigne véritablement à goûter à la promesse, en contraste et in fine, d'un singulier sentiment d'unité, de partage, ou de je ne sais quelle valeur égalitaire masquée. Bien plutôt, et malgré ce grand écart, la rencontre, presque trop improbable bien que mûe par des besoins convergents (l'un nécessite de l'aide pour vivre son handicap, l'autre doit manger), accouche de manière quasi providencielle d'une profonde amitié... Sous la différence apparente, la richesse humaine (le hic, évidemment, c'est que la cause réelle en est bien davantage la richesse que l'humanité...)... De ce point de vue, Intouchables n'est pas seulement prévisible et bien-pensant ; il flirte avec la douceur mielleuse d'histoires isolées cache-misère, et entreprend moins d'interroger la différence que de la répéter à l'excès, jusqu'à en ignorer les origines. Intouchables est aussi, sous le rire facile et fréquent, un joli voile d'ignorance.
Comédie ou/et oeuvre bienveillante censée se faire la voix - ô prodige -, en même temps que du rire multi-racial et multi-origines, de valeurs universelles et humaines (voire, horribilis, humanistes), Intouchables demeure un film anti-crise, tous publics, mou et moyen, démocratique en somme. Le succès du film ne démentira plus, après cinq semaines et les 10 millions de spectateurs atteints, ce constat mitigé. Et comme une explication à double entrée, on pourrait synthétiser : d'une part, Intouchables, mon voisin aveugle et ma grand-mère paralytique l'ont apprécié, valeur sûre dans le marasme cinématographique dont personne n'ose vraiment affronter la médiocrité pléthorique (n'en déplaise aux pro-films français récemment "millionaires" et tout heureux de constater que non, le cinéma français, ce n'est pas que de la daube). D'autre part, dans Intouchables on se poile bien et puis c'est une belle histoire d'handicapé quand même, t'as vu Omar y' joue vachement bien aussi... Intouchables est aussi, derrière l'oeil plein de larmes compatissantes autant qu'amusées, un bon produit, non seulement pour son époque, mais aussi de son époque.
Intouchables n'est pas vraiment un film de cinéma, c'est un médicament, bien enrobé, qu'on avale autant de fois - et elles sont nombreuses - que l'on ouvre la gueule pour adhérer au décalage Driss/Philippe, et à la confrontation de leurs mondes antipodiques : une sirupeuse gourmandise. La réalisation est propre, la bande son correcte sans excès - ne risquons pas non plus d'outrer les quelques bobos aventureux... -, le scénario convenu et les deux acteurs principaux, Cluzet et Sy rentrent à merveille dans des rôles quasi parfaits - le premier demeurant moins mimiqueux que le second, surprenant mais aussi un peu lourdingue. Bref, tout est là pour occulter le fait qu'Intouchables est un film de possédants pour nécessiteux de rêve et d'espoir, un film se jouant si bien des inégalités matérielles que l'amitié en question peut aisément passer pour un miracle social. Mais Intouchables est aussi, comme recouvert de sucre glace, idéologique, libéro-ultra-bourgeois en son fond. Attendu, mou et consensuel. Trop, c'est trop : 9/20.